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lundi 12 février 2018

HEIMATELOT*

HEIMATELOT (Ran ORTNER : Oil on canvas) https://arabecedesque.blogspot.com

Ran ORTNER : Oil on canvas.



Marin parcourant inlassablement les mers dans l'incapacité de se fixer sur terre.


   Toujours avoir l'air de savoir où l'on va sans savoir où l'on va. Quête sans fin de l'impossible terre qu'on se promet d'atteindre, nous, nuages informes traversant les mers dans la mobilité de leurs immuables métamorphoses.
   L'incertitude est motrice, crée ce mouvement qui paradoxalement nous détermine. Cette nécessité d'aller de l'avant parce que rester c'est la fossilisation. Ce besoin de la mer à embrasser dans le fantasme d'une terre probable. Mer, parce que c'est là sans y être. Il n'y a pas d'endroits précis. C'est partout l'endroit, toujours. C'est du lieu qui n'arrête pas comme la terre qui nous ancre dans l'oppression de l'asphyxie, et dont le creux sombre des vallées, dont les pentes rocheuses et les crêtes neigeuses sont le cauchemar vécu.
   Mais nous sommes des humains. Nous ne sommes pas des poissons, nous qui déchantons de n'être pas non plus des oiseaux ; nous, les heimatelots que la terre travaille, laboure intimement sans jamais nous arrêter. S'arrêter c'est chavirer sur terre. Pour nous, la mer, c'est l'obsession de la terre quand la terre nous travaille dans la sollicitude de l'urgence. Pour que la terre nous laboure il ne faut pas que nous y restions et nous sommes faits pour la terre. Pour que la terre continue sans cesse à nous travailler, il faut sans cesse aller au-devant d'elle jusqu'à ce que s'y fixer devienne une impossibilité de vivre. Espace à penser pour les poumons, pour sentir à quel point nous sommes passés par là, à ne plus savoir où.

(Sisyphe MAZROCHE, La grande vadérappe)






lundi 26 juin 2017

KENAVOGUER

Passer plus de temps en mer que sur terre.


   Les montagnes, ça monte et ça descend. On a beau glisser, on fait du surplace alors que dans la tête on n'arrête pas de fuir à l'horizontale, et même au sommet on continue de lever la tête vers le ciel récréé par la traînée blanche des avions, ces panneaux indicateurs. Chercher abri, trouver refuge jusqu'à ce qu'enfin on finisse par s'échapper pour de vrai à force de se faire rouler, pour rouler tout de bon en dévalant de vallée en vallée. Alors on avalanche, quitte à se faire mal, torrent boueux de toute la crasse immaccumulée des neiges stupidement éternelles, pour retrouver embruns, grève, vague et mouvement, loin de ce plissement terrestre pétrifié dans son imbécillité minérale. Et puis on s'échappe encore de peur que ça nous rattrape, la terre à caillasse. Alors on y va, on se laisse embarquer, on kenavogue à toutes voiles, à toute vapeur, moustache d'écume à la proue de la Blanche Herminel’œil battu par les flots et un compas dans la tête pour embrasser l'horizon. 
   Il n'est pas de rigueur qui tenaille autant qu'une autre pour peu qu'on l'ait choisie. Le tout est de trouver à souffrir différemment pour souffrir un peu moins.

(Sisyphe MAZROCHE, La grande vadérappe)