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mardi 8 mars 2022

INACCOMPLU

Qui laisse sur sa faim, en parlant d’une lecture.


  Ce livre de moi car par moi seule acquis : je veux que ce livre-là, écrit par telle hauteurité, publié par telle maison autorisée, soit le mien : que son propos ripe dans mes mains : que grâce aux quelques euros qu’il m’a coûté, à cause de la fascination que j’ai eue pour cet objet de façonnage, il devienne mon entière propriété : de la bouffe qui dure en moi : que tout ce qui-y-est exposé tourne à mon avantage : soit le fait de ma seule volonté de lectrice.
  Et si cela me semble inaccomplu, alors je veux manipuler l’objet dans la pénombre avec mes lunettes de soudeuse, de challumeuse, et parfois même en clignant de l’œil pour mieux ressentir l’étincelée des phrases que j’y veux lire, et comme si paradoxalement je devais me protéger de leur trop d’éclat : je ne veux être aveuglée que par moi-même au détriment de l’autreur, ce vagabond flouté par qui l’objet a eu lieu, condamné à errer dans mes pensées elles-mêmes bohémiennes : spectre devenu absurde et dérisoire par qui je parviendrai d’une manière ou l’autre à me raccrocher à moi-même, cet unique, ce tyrannique objet de lecture.

(Lucie FERCATLEYA, Le papier se digère très bien)

vendredi 3 novembre 2017

RECOMMENSONGEMENT

RECOMMENSONGEMENT ( photos Jean-Marc GODÈS) https://arabecedesque.blogspot.com

Images : Jean-Marc GODÈS.


Reconduction de projets délibérément chimériques.


    Et si vous aviez un livre à emmener sur une île déserte ?
   Toujours cette question mémorablement insipide aux réponses fatalement de même eau.
   Si c'est pour quinze jours, le livre en cours. Si c'est pour toujours, n'importe lequel à partir de quoi n'importe quoi puisque où nulle part à la fois partout, étant pour toujours, le seul écho d'une phrase suffisant désormais à tout reste possible, à toutes les cogitérations, à tous les recommensongements à force d'en relire pour y reluire sans cesse de tous les livres manquants qui ont marqué, et d'autant plus l'inverse.
   Un même livre ne sera pas le même pour quinze jours que pour toujours. Le livre pour quinze jours n'est jamais que le livre d'un jour, quand bien même durable d'airain. Le livre pour toujours ne procède plus que de son propre inachèvement : refermé dans un coin, il continue d’œuvrer de tout ce qu'il y a d'enfoui au profond de ses phrases : travaille continuellement : est sans cesse biblu, même dans le sommeil : amène en permanence à l'extension de lui-même avec toute la démesure d'un enfantillage salvateur infiniment perpétré.

(Lucie FERCATLEYA, Le papier se digère très bien)



Jean-Marc GODÈS :


vendredi 19 mai 2017

NAVILIVRE

Objet de lecture avec lequel on s’embarque durablement.


   Dois-je être lasse des lectures rêvassantes, rêvassommantes, quand le ronronnement des phrases me berce et que le sens m’échappe parce que telle expression initiale, telle formule uppercutante, a orienté mon attention vers une direction qui m’est propre ?
   Ainsi je m’écarte de l'auteur parce que l'auteur insinue malgré lui l’opportunité d'un cheminement qui devient le mien tout en continuant le sien. Ainsi je largue d’être larguée : je deviens fantôme hantant les discoursives d’un navilivre à destination fluctuante : je m'échappe de la prison : mes regards se perdent au-delà des barreaux de la cellule dont je détiens les clés : je m’approprie ce lieu d’enfermement pour l'accommoder à ma façon.
   Je continue de lire : j’imagine entièrement l'ouvrage que je suis en train de lire. J’ai besoin de cette prison pour nommer, connaître ma liberté : j’ai besoin de ce livre devenu inachevable, inachevé, de la résistance de ces parois de phrases allant s’épaississant pour m’y sentir rebondir : y capter l’écho de ce que je veux y trouver de ma présence évoisive, de ma présence évaseuse, de ma présence rêvadée, seul sujet de tout livre : étancher la soif inextinguible que j’ai de moi-même : insensible écriture de lectrice aveugle, accaparesseuse de phrases qui n'ont plus à mes yeux d'autres limites qu'une page qui redevient blanche le temps de la lire, et que sans le vouloir je froisse et je déchire.

(Lucie FERCATLEYA, Le papier se digère très bien)