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vendredi 19 mai 2017

NAVILIVRE

Objet de lecture avec lequel on s’embarque durablement.


   Dois-je être lasse des lectures rêvassantes, rêvassommantes, quand le ronronnement des phrases me berce et que le sens m’échappe parce que telle expression initiale, telle formule uppercutante, a orienté mon attention vers une direction qui m’est propre ?
   Ainsi je m’écarte de l'auteur parce que l'auteur insinue malgré lui l’opportunité d'un cheminement qui devient le mien tout en continuant le sien. Ainsi je largue d’être larguée : je deviens fantôme hantant les discoursives d’un navilivre à destination fluctuante : je m'échappe de la prison : mes regards se perdent au-delà des barreaux de la cellule dont je détiens les clés : je m’approprie ce lieu d’enfermement pour l'accommoder à ma façon.
   Je continue de lire : j’imagine entièrement l'ouvrage que je suis en train de lire. J’ai besoin de cette prison pour nommer, connaître ma liberté : j’ai besoin de ce livre devenu inachevable, inachevé, de la résistance de ces parois de phrases allant s’épaississant pour m’y sentir rebondir : y capter l’écho de ce que je veux y trouver de ma présence évoisive, de ma présence évaseuse, de ma présence rêvadée, seul sujet de tout livre : étancher la soif inextinguible que j’ai de moi-même : insensible écriture de lectrice aveugle, accaparesseuse de phrases qui n'ont plus à mes yeux d'autres limites qu'une page qui redevient blanche le temps de la lire, et que sans le vouloir je froisse et je déchire.

(Lucie FERCATLEYA, Le papier se digère très bien)

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