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mardi 28 novembre 2017

JUDOCRADE

Sportif halitueux pratiquant le combat en souplesse et usant de son odeur corporelle pour affaiblir l'adversaire.


   Ça sentait sur les tapis comme dans les vestiaires la même odeur piquante de caoutchouc chaud et de chaleur humaine qui tenaillait les narines. Aussi je tentais de respirer le moins possible.
   La plupart de nos gestes étaient lents, appliqués. Il régnait là comme une sorte de sérénité silencieuse, presque religieuse. Nous étions tous revêtus du même pyjama trop large fait d'un tissu à l'épaisseur indestructible par lequel nous nous agrippions tour à tour avec la même détermination paisible.
   A mon tour je fus prise en charge par la grande armoire sombrement ceinturée qui aussitôt m’empoigna au colback en m’invitant à faire de même, et nous commençâmes à valser quelques instants au milieu des autres dans le silence d'une musique intérieure qui semblait totalement improvisée tant son rythme m'échappait. Puis, sans que l’on sache pourquoi, il se prit les jambes dans les miennes avec une maladresse déconcertante tout en me pressant lascivement contre lui, comme si nos deux cœurs eussent été entrelacés, jusqu'à ce qu’au bord de l'asphyxie je fus enfin retournée comme une crêpe et plaquée au sol avec une brutalité dont la prestesse contrastait avec l’indétermination presque tendre de notre précédente embarrassade.
   C'est ainsi que je disparus sous l'imposant judocrade velu qui ne relâcha point son étreinte tandis qu'il m'écrasait consciencieusement la poitrine en me tordant le bras.

(Zoé ZANTAILLE, Terreurs de jeunesse : Journal d’une aspergirl)

vendredi 24 novembre 2017

LONDULANGUEMENT

LONDULANGUEMENT, https://arabecedesque.blogspot.com



Avec l’insistance mouvante du lèchement canin.


Vaguemer, sombre écho, cataclysme orchestral
Londulanguement lourd jusqu’à figer la vague,
Jusqu’au brusque engouement d’un prurit magistral
Aiguisant le désir au rhythme de la schlague ;

Jetant autour de toi ta jupe avec ampleur
Dans l'ostination savante de démence
D'un cerveau saturé d'ivresse et de douleur,
Vaguemer, hardrockœur en crinoline immense !

LONDULANGUEMENT, charles Baudelaire, "Arabécédesque, Olivier Goldsmith"

mardi 21 novembre 2017

MISOGYNÈSE

Antériorité et prépotence de l’homme sur la femme selon les textes sacrés.


Par haine de la Nuit Dieu fit naître le jour
Dans un grand pet-au-feu comme on sait plein d’amour,
Puisque d’un membre épais gonflé de terre glaise
Il aspergea le ciel de sa misogynèse.

(Hugo SPLECTOR, La fiente de l’Esprit)

mercredi 15 novembre 2017

NORMENDIER

Faire la manche sous la pluie pour apitoyer les passants.


  Mendier implique des conditions météorologiques réputées contraignantes si l'on veut œuvrer convenablement.
  Normendier est en cela rudement épatant par la démonstration même d'une souffrance non feinte pour peu que nous grelottions sous la pluie. L'acte de normendicité illustre la réalité de notre dénuement avec une éloquence frappante, et cette tangibilité dégoulinante d’humanité en détresse sur trottoir luisant ravivera dans les cœurs une flamme depuis trop longtemps étouffée qu'à coup sûr entretiendra une grande sobriété dans l'attitude, excluant ainsi toute sollicitation pressante et, bien entendu, toute consommation de boisson alcoolisée sur voie publique. Par contre, tandis que pénétransi nous gisons en proie à l'adversité, un quignon de pain détrempé à nos pieds fera merveilleusement l'affaire sans baigner dans un misérabilisme naïf pour autant qu’on aura discrétion de s’abstenir de toute mise en scène trop appuyée, hautement préjudiciable au fond d’authenticité qui nous anime.
  Cela étant, si l’occasion se présente, sachons nous montrer exigeant comme lors d’un entretien d'embauche. On gagne autrement en prestige en posant des questions. Qui n'a jamais la moindre exigence se rend indigne aux yeux du monde. Et si l'on vient à nous proposer quelque nourriture, plutôt que de quoi nous pourvoir en ignoble vinasse et autre huit-six tiédasse, déclarons-nous végétarien : à coup sûr cela confortera l'estime qu'on saura durablement nous porter, et témoignera – par l’intérêt ainsi porté à nos amies les bêtes – de notre haute sociabilité.

(Marin POCHETROUS, Salauds de pauvres)

vendredi 10 novembre 2017

OREXCITER

Inspirer une faim dévorante.


   Nostre esprit n'est nullement empesché par ce qui orexcite au delà du necessaire, & les plus nobles idées nous viennent souvent au retraict. N'ayons point honte de nos corps, & de l'insaturité si nature nous l'impose, pour peu que l'ame reste pleine de ce que nous avons de plus delicat. Il est ainsi de ces gourmandines que manduquer n'oste en rien à leur beauté, & la grace qu'elles presentent en leur appetit ne fait qu'adjouster à leurs charmes où gastriction eust semblance de maladie & visage de mort.

(Estienne McLAINE, De cætero)


OREXCITER (Montaigne) https://arabecedesque.blogspot.com

mardi 7 novembre 2017

PHOBBIE

Aversion pour les dérivatifs.


   Quand on a comme moi le cerveau en kit et qu'on passe sa vie à tenter d’assembler les éléments de l’éclaté, tu comprendras aisément, lecteur sain d'esprit, les raisons de ma phobbie, et qu'en dehors d'un sommeil variablement réparateur et la nécessité regrettable de la sustentation (celle qui alourdit plutôt qu'elle n'élève) il n'est rien qui puisse me divertir de cette passion contrainte de moi-même, de cette tâche essentielle pour laquelle je n'ai pas d'autre existence, au risque sinon de me perdre définitivement.

(Onésime CROCHEMIL, Variations sur le thème des insatisfactions majeures)

vendredi 3 novembre 2017

RECOMMENSONGEMENT

RECOMMENSONGEMENT ( photos Jean-Marc GODÈS) https://arabecedesque.blogspot.com

Images : Jean-Marc GODÈS.


Reconduction de projets délibérément chimériques.


    Et si vous aviez un livre à emmener sur une île déserte ?
   Toujours cette question mémorablement insipide aux réponses fatalement de même eau.
   Si c'est pour quinze jours, le livre en cours. Si c'est pour toujours, n'importe lequel à partir de quoi n'importe quoi puisque où nulle part à la fois partout, étant pour toujours, le seul écho d'une phrase suffisant désormais à tout reste possible, à toutes les cogitérations, à tous les recommensongements à force d'en relire pour y reluire sans cesse de tous les livres manquants qui ont marqué, et d'autant plus l'inverse.
   Un même livre ne sera pas le même pour quinze jours que pour toujours. Le livre pour quinze jours n'est jamais que le livre d'un jour, quand bien même durable d'airain. Le livre pour toujours ne procède plus que de son propre inachèvement : refermé dans un coin, il continue d’œuvrer de tout ce qu'il y a d'enfoui au profond de ses phrases : travaille continuellement : est sans cesse biblu, même dans le sommeil : amène en permanence à l'extension de lui-même avec toute la démesure d'un enfantillage salvateur infiniment perpétré.

(Lucie FERCATLEYA, Le papier se digère très bien)



Jean-Marc GODÈS :