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dimanche 21 octobre 2018

HÉSITENSION

Indétermination fébrile et laborieuse. Concentration paralysante de l’esprit.


   Le style, c’est toujours mieux de ne pas s’en occuper et de se laisser embarquer sans chercher à dire autrement, autrement mieux, ce qui prendra forme peu à peu par accrétion de tout ce qu’il y a eu jusque là. C’est ça le style. Celui qu’on ne choisit pas, le nôtre, qu’on ne voulait pas forcément. Écrire c’est ainsi que ça se passe sinon c’est autre chose, une habile posture pour faire savoir par ce biais, mais ce n’est plus nous. C’est juste notre savoir-faire qui fait illusion et, un jour ou l’autre, on finit par en être désastreusement désœuvré.
   Sur l’instant d’écrire on ne voit rien de ce que ça peut être. On ne vaut rien. On croit ça. Mais le doute, tout ce qui fait achopper, sert paradoxalement à progresser. Je crois qu’on n’avance pas sans ça quant à ce que nous sommes. On n’accepte pas d’être aveugle quand on a des yeux pour voir, de tituber sans boire, toutes ces hésitensions qui donnent l’impression de perdre un temps précieux comme si on en saignait. C’est comme de ne rien faire. Même quand on ne fait rien on travaille. On travaille sans nous. C’est parce qu’on est travaillé quoiqu’il en soit. Il n’y a jamais de repos. Il y a toujours quelque chose qui se fait. Ou se défait, c’est pareil. Écrire de ne pas écrire. Ne pas parvenir à écrire et écrire quand même, jusqu’à ne plus écrire pour espérer écrire un jour…
   Avoir du style, c’est être dépassé par soi et souffrir infiniment de croire qu’on ne puisse jamais l’atteindre. 

(Doralisa PYRARGNE, Savoir comment savoir)

jeudi 18 octobre 2018

INHIBITURE

Ivresse anesthésiante, pour oublier.


   C'est le soir parfois que ça arrive, de se voir être seul dans une pièce, une chambre, une cuisine. D'avoir peur de ça et de rien d’autre. D'être soi comme ça, sans rien d'autre que soi. Cet accès, cet excès de lucidité qui s’empare de vous avec cette même violence toujours, règne sur vous comme un ciel sans nuage, dévasté. Alors, même si on écrit, même si on a écrit — et qu'on sache que ça restera ce qu'on a jeté là sur le papier — on a recours à cette « inhibiture », comme je l'appelle. C'est comme un tunnel soyeux à traverser jusqu'à ce qu'on retrouve le jour de l'autre côté pour se débarrasser de cette panique de la veille. De cette violence-là qui a toujours le dernier mot quelque soit la victoire sur le papier. C'est terrible, je sais, ce que je dis, mais je crois que ça concerne pas mal d'entre nous. Il y a cette nécessité-là de reprendre son souffle dès que l'oppression nous submerge avec la violence d'un océan. Alors on ne peut plus s'arrêter de boire sinon la peur c'est encore pire. Bien sûr, ce n'est pas si grave d'avoir peur. Ce n'est pas toujours cette horreur d’être là, insupportable. Il est tellement naturel d'avoir peur. Mais pas comme ça.

(Dodeline DURAXE, Je ne sais pas si demain...)

dimanche 14 octobre 2018

JE-M’EN-FOUTRISTE

Personne déprimée du seul fait de son inertie.


À force de ne plus rien voir
En jouant au je-m’en-foutriste,
Je me rencogne dans le noir
Pour me visiter en touriste.

(Vivien VERVAL, Oubliettes avariées)

mercredi 10 octobre 2018

LUSTRINER

Faire briller une surface en s’y soulageant.


« Admirable » est un mot qui me met hors de moi :
Impudique impuissance à dire ce qu’on aime
Pour, vidant son trop-plein, lustriner le poème
Qui brillait bien assez sans ce giclant octroi.

(Jean-Barnave de LAMAISON de FIÈVREDOR, Les épreintes)

dimanche 7 octobre 2018

MOLLASSOMMANT

D’une lenteur épuisante.


J'ai du pain sur la planche. Il reste tout à faire.
Il reste toujours tout puisque rien ne finit :
Le jour mollassommant stagne, soporifère.
J'entends tomber la pluie, alors je reste au lit.

(Alcidias GRALIVON, Les moisissures)

samedi 6 octobre 2018

NOCTOURNERIE

Rêverie pianistique obsédante autour d’un motif mélancolique.


Je peux passer des nuits à ma vaine jouerie
En quête d'un semblant de thème évaporé
Qui révèle, au détour d’une noctournerie,
Un recoin de silence encore inexploré.

(Pierre-Nicolas JARRETTE, Moodelettes)

mardi 2 octobre 2018

ONOMANITOPÉE

Emploi exclusif d’un vocabulaire à vocation évocatrice.


L'onomanitopée, à son pic délirant,
Confinait chaque fois au poème lettriste.
Logoclown ambulant et savant humoriste,
On l'entendait alors rouler comme un torrent.

(Raoul AMADINE, Les médications stochastiques)

vendredi 28 septembre 2018

PROUPE

● Avant et arrière apparemment identiques d'un navire.


   Vouloir se coucher dans le lit du vent et prendre le vent par la proupe ; ne plus savoir ce que c'est que d'aller où que ce soit tant le flot s'agite avec fureur autour de notre immobilité. Cette fureur même, immobile à force. On allait sombrer : cette fois c'était sûr.

(Moïse CAPQUARD, Suave Marimagne)



● Perte de repère, désorientation totale.


Agrément de fortune

Ma proupe insatisfaite
Ce sarcasme en plein ciel

Haute nuit pour un jour à naître
Ce rictus suspendu sur la rose des vents
Pour le malin plaisir des routes impossibles

(Crinolines)



vendredi 21 septembre 2018

RÊVAGUER

S’abandonner à des pensées ineptes et oiseuses.


Mâchouillant sans finir un reste de brioche,
Je croyais rêvaguer en parfait soliveau ;
Mais, malgré mes efforts de fantasque fantoche,
De puissants cogitos accablaient mon cerveau.

(Alcidias GRALIVON, Les moisissures)

vendredi 14 septembre 2018

STUPIDIOLÂTRIE

Stupidiolâtrie (Arabécédesque, Olivier Goldsmith)

Luciano Berruti ©2014 L’Eroica - Ciclismo d’Epoca SSD


Dernier degré de la fanitude.



Le Fabuliste se voulant Coursier.


En ce jour, je suis las de mon pérenne employ
Et je veux retourner la plume contre moy.
Ne suis-je point moy-mesme un Animal à Fable ?
Vous l’allez voir icy, la chose est admirable.

Un peloton souvent volant devant chez moy
Me causoit à la longue un cruel desarroy.
Bien qu’ayant sur ce poinct une idée assez flouë,
Je resvois à mon tour d’aller prendre la rouë.
Il me manquoit pourtant, digne de mon fessier,
Un de ces beaux velos plus carbone qu’acier.
Donc je m’offris l’engin, fascinante merveille
(Stupidiolatrie à nulle autre pareille !)
Je joins la troupe enfin, plein d’ardeur & de bluff,
Les muscles frétillant sous mon cuissard tout neuf.
Mais, à tourner braquet comme trois cents hélices,
J’amassay du lactique avec mes pauvres cuisses
Pour exploser bien-tost au premier coup de cul.
Ainsi, completement largué, cramé, fourbu
D’avaler autant d’air en moins d’un kilometre,
J’entrevis tout mon lot de Coursiers disparoistre
Dans la sérenité de l’Orizon champestre.
Alors tout en sueur, les yeux pleins de Soleil,
Je ramay, pathetique en mon fier appareil,
Pour retrouver chez moy desarroy puis sommeil.

Il est toûjours fatal de succomber trop vite
Au prompt desir de vivre un resve sans merite.
A qui sçait bien resver, resve vient à propos 
Pour le vivre au réveil toûjours frais & dispos.

(Jean LAFONTENERRE, Fâbleries)

lundi 10 septembre 2018

TRIBAUDE

Femme homosexuelle proposant de manière incoercible aux passantes des services supposés alléchants.


Je vis dans un quartier dont le mètre carré
Flambe à proportion d’un concours de tribaudes.
J'y gîte, ardée ainsi par des femmes trop chaudes
M'invitant le matin à boire mon café.

(Ginette MASCAROND, Poésies nobles et avariées)

vendredi 7 septembre 2018

UBICOQUITÉ

Fait d’avoir plusieurs domiciles occupés simultanément.


   C’est au mois d’août que ça se complique, la chaleur aidant. L’afflux des voyageois, ces faux adeptes de l’ubicoquité, chamboule l’espèce sédentaire, apportant tant angoisse sourdement orageuse et méfiance instinctive de cet inconnu venu de nulle part qu’attrait mystérieux de ce lieu-non-dit, ce vent chaud d'indéfini dense fait de prunelles ardentes et de roulottes désuettes, d’osier et de guitare manouche. Cette météo des hommes invariablement prévisible qui fait chaque fois l’hiver plus froid, plus figé dans les habitudes rabougrelottantes ; fait du patelin encrassiné ce lieu-dit toujours plus désertant.

(Léselle HULOCOT, Les gens du village et les voyageois)