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mardi 8 mars 2022

INACCOMPLU

Qui laisse sur sa faim, en parlant d’une lecture.


  Ce livre de moi car par moi seule acquis : je veux que ce livre-là, écrit par telle hauteurité, publié par telle maison autorisée, soit le mien : que son propos ripe dans mes mains : que grâce aux quelques euros qu’il m’a coûté, à cause de la fascination que j’ai eue pour cet objet de façonnage, il devienne mon entière propriété : de la bouffe qui dure en moi : que tout ce qui-y-est exposé tourne à mon avantage : soit le fait de ma seule volonté de lectrice.
  Et si cela me semble inaccomplu, alors je veux manipuler l’objet dans la pénombre avec mes lunettes de soudeuse, de challumeuse, et parfois même en clignant de l’œil pour mieux ressentir l’étincelée des phrases que j’y veux lire, et comme si paradoxalement je devais me protéger de leur trop d’éclat : je ne veux être aveuglée que par moi-même au détriment de l’autreur, ce vagabond flouté par qui l’objet a eu lieu, condamné à errer dans mes pensées elles-mêmes bohémiennes : spectre devenu absurde et dérisoire par qui je parviendrai d’une manière ou l’autre à me raccrocher à moi-même, cet unique, ce tyrannique objet de lecture.

(Lucie FERCATLEYA, Le papier se digère très bien)

jeudi 24 février 2022

JAMBARQUER

Monter périlleusement à bord d’un canot.


nuit sans autres étoiles lumières de la ville bout’s sans mitaines coffre invisible clapot soif sauvagement gorge pleine de terre imminente quille affamée de sol ferme désir avant que l’eau ne la gâche précipitension véloce intépidité fausse gestes qui heurteraient le corps dans le désir dur à dire presque spasme amoureux jambarquer annexe à la jupe face au large pourtant terre droit derrière déséquilibre stable vacillation caresse amoureuse un seul frisson qu’entretient l’air chargé d’espoir plus près le clapot prometteur de chaleur humaine à portée de nage port au fil du flot qui s’en réjouit peau de satin qui frétille sombre ramper au ras de la soie vive et noire voix d’eau pour rebondir encore vers ce qu’on voudrait être dernier pet matoiserie du flot la pisse ancrée de la mer au mitan de la terre

(Victor MALPLANCHE, La folle aventure du Chokétou)

samedi 5 février 2022

LIMBRIAQUE

Relatif à la confusion ébrieuse régressive.


Merciel qui ne ressemble à rien ;
Magmarne qui s'idéiforme…
Limbriaque par temps de chien,
Cervocéan phénoménorme.

(Rémi CHAUWDLER, Exilerrance)

mercredi 26 janvier 2022

MENTAIRE

Apollonie Sabatier, celle qui est trop gaie selon Baudelaire
Celle qui est trop gaie

Omettre par pudeur, par lâcheté.


À mentaire avec toi je ne suis plus moi-même,
Sinon pâle héros d’un roman sans auteur
Qui, plein de ton image, attarde son poëme,
Aventure sans nom dont je suis l’inventeur.

Et, certains soirs, longeant les murs ainsi qu’une ombre,
Je trempe dans le vin ma plume sans pitié
Pour conclure à nouveau dans mainte chambre sombre
Une histoire d’amour sombrant dans l’amitié.

lundi 17 janvier 2022

NÉGÂTISME

Opposition sénile à toute sollicitation.


  Usé d’avoir pu résister jusqu’à ce jour à l’épreuve du temps et fâché contre moi d’une telle victoire de la vieillesse, honteux de l’acceptation raisonnablement passive de mon athlétisie, je n’ai plus à souhaiter que négâtisme aveugle qui précipiterait enfin la chute de ce corps absurde de résistance.

(Stanislav RASIDORT, Affaiblismes sarcasmatiques)

mardi 28 décembre 2021

ORDURIRE

Se réjouir ouvertement des plaisanteries les plus graveleuses.


Ah ! Madame, souffrons de n'en rire jamais !
Je ne vous comprens pas : vous aymez l'élegance
Et vous orduriez à la derniere outrance.
Avez-vous donc ce goust de la perversité
Pour couronner encor tant de stupridité ?

(Légitimus CŒURNŒIL, Ithyphigénéithliacus)

samedi 4 décembre 2021

POÉTARADER

Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand, édition originale (Olivier Goldsmith)

Balancer à tout-va des vers de mirliton.


Aller partout enfler, à qui veut bien l’entendre,
Sa bedaine et sa voix des talents d’un Clitendre ?
Signer dans les salons des piles de recueils
Pour combler l’appétit des modestes orgueils
Puis, poétaradant de force prosodies,
L’essor illustre ailé de plumes alourdies,
Dégorger du gueuloir entre deux « pas d’souci »
Pour vomir sans pudeur son nombril ? Non, merci !

(Raymond de VOSTAND,  Cyrano de Rudubac)

mercredi 24 novembre 2021

RÉCOURANT

D’une banalité incessamment ressassée.


Je préfère à l’écrit la nature des choses,
L’odeur des draps qu’on sniffe avant de se coucher,
Aux mots dits l’océan du silence des roses,
Au bonheur récourant leur épine au toucher ;

Et dans la mort prochaine ouverte aux nuits sans lune,
Alors j’endormirai les peines, les espoirs,
Tout le sang refroidi d’une ivresse commune
Vainement récourante aux avides miroirs.

(Hugo SPLECTOR, Les Contraceptions)


Victor HUGO, le front lourd de pensées

mercredi 17 novembre 2021

SONNÉTÉTÉ

Dizain de Lochac. Type de poème à forme fixe qui existait avant même d’avoir été créé.


Des poèmes ratés, c’est-à-dire infinis,
J’en ai commis assez pour en commettre encore ;
Laisser inachevés pour les laisser éclore
Des mots sans avenir et partant rajeunis.

Car j’ai toujours été curieux d’autre chose,
Tout ce qui devant moi fait que pour cela j’ose
En rêvant d’achever ce qui n’existe pas.

Ainsi, sans le savoir, je me mets à écrire
Ce qu’en rêve on écrit sans vaine mise bas,

Plus d’un sonnétété qu’on ne saurait réduire.


(Apollon KLOSTROGNIAMENTALK, Poèmes-revolver et pistolettres)

lundi 8 novembre 2021

TARABISCOTON

Aux abords inextricables.


  Plutôt « tarabiscoton », comme tu disais dernièrement, érautorisant ainsi l'abondance des jupons ; mais qu'enfouie dans cette cage adorablement protectrice et sursatinée, où sans cesse tu viens immiscer ton impatience, je te puisse être offerte dans l'abandon consenti de notre empêtrement.
  Aussi faut-il que tu me tiennes de cette manière, vois-tu, d'une main tantôt gauche, tantôt maladroite, mais toujours avec l'indécente fermeté du satrape, mon cher, de sorte à ce que, m'engonçant davantage dans les délices de ma retraite, je puisse ressentir à travers la tendre épaisseur des murs de cette prison ta volonté farouche de vouloir me jouir avec la plus grande lâcheté, et par laquelle j'achève enfin de me lâcher en me pâmant.

(Violence SOUMISSOUS de CHAUDEPIN, Crinoline et mauvais genre, ou Les vicissitudes du vertugadin)

dimanche 31 octobre 2021

VATROUILLE

Crainte permanente de s'établir ; incapacité majeure à se fixer.


  Libres comme l'air, nous pensions pourtant qu'il n'y avait plus rien à trouver. Dans notre vatrouille, nous voulions ignorer cette désolation de nos vies chassant sur un monde renié. Seul ce que nous rêvions motivait nos agîtations. Impossible Mexit. Nous cherchions des limites, mais il n'y avait pas d'autres limites que nous-mêmes et c'est cela qui nous liait. Nous n'avions plus le pouvoir de nous arrêter. Nous le savions et parfois, sans nous l'avouer, comme si un troupeau d'anges passait près de nous, cette pensée secrètement nous terrifiait à nous tordre l'estomac tandis que nous continuions de pencher en avant.

(Carlos PEROUEC, Califrisco)

samedi 3 juillet 2021

Damnation (Charles Baudelaire)

"Damnation" BRIBES (Charles Baudelaire) Arabécédesque, Olivier Goldsmith

    Les deux quatrains du sonnet inachevé Damnation (Bribes) que nous connaissons tous, composés sans doute en regard de La reine de Saba (Flaubert, Tentation de Saint Antoine, L’Artiste du 21 décembre 1856, p. 21). Reine qui, semble-t-il, n’a pas non plus laissé indifférent Théophile Gautier comme on peut le lire dans Emaux et camées : « sa bouche arquée a des moues à mettre un saint au désespoir »). 
    Ce sonnet faisait partie de l’un des projets (avortés) de poèmes à faire pour la seconde édition des Fleurs
    v. 3,  « Dompteur féroce et doux » sonne comme une réminiscence des Chats.
    En l'absence des tercets, rien ne permet de penser comme Jacques Crépet (Juvenilia I, p.371) que cette pièce inachevée ait été composée en l’honneur de Jeanne.
    La mise au net pourrait dater de fin 1858<1859 (Honfleur ?). 


DAMNATION


Grand ange qui portez sur votre fier visage 
La noirceur de l'Enfer d'où vous êtes monté ; 
Dompteur féroce et doux qui m'avez mis en cage 
Pour servir de spectacle à votre cruauté ; 
 
Cauchemar de mes nuits, Sirène sans corsage 
Qui me tirez toujours debout à mon côté, 
Par ma robe de saint ou ma barbe de sage, 
Pour m'offrir le poison d'un amour effronté ; 
 
Vous par qui je deviens ce que je ne veux être 
Et me connaissez mieux que je puis me connaître, 
Qui dois-je fuir en vous, ou de vous ou de moi ? 
 
— Allons ! puisque après tout ce feu qui me taraude 
Me donne à résister pour éprouver ma foi 
Tout en satisfaisant le cher ange qui rôde !