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mardi 30 avril 2019

LIMAÇONNER

LIMAÇONNER "Arabécédesque" (Olivier Goldsmith)


S'éterniser sans motivation dans des travaux de construction pénibles.

 
   Ça va pas assez vite, tout ça ! Il gueule. En silence. À force, il se voit faire comme dans un miroir. Gestes lourds, maladroits. Et puis mal au dos. Les yeux qui brûlent de fatigue et de sueur. Et puis cet étourdissement chaque fois qu'il se redresse. Il chancelle, fil-à-plombe. Genou sur la règle, alignement d'assises inertes en attente de la prochaine. Tour sans fin tout en rond. Toujours en face, cet autre côté qu'il faut rejoindre pour gagner si peu sur le ciel. Maçonnerie ? Ma connerie, qu’il se dit. Boutisses, panneresses, petites, grosses. Grosses c'est mieux. On gagne en volume, mais pire parce que c'est lourd, plus lent à dresser, à bloquer. Remplage et rempilage. Accumuler dans le corps des tonnes de caillasse. Mortier sans cesse à rebattre. Cette douleur particulière au poignet, à l’épaule. Ce côté mécanique de soi incessament sollicité. Jusqu'à l'usure totale, jusqu'à l'écrasement lombaire. Corps encore. Tassement des soubassements. Ras la truelle. Même si une certaine lenteur peut contribuer à la justesse. "À bonne gâchée, bonne bolée", comme disait l’autre ! Parfois il se le répète pour se redonner du jus. Il faudra quand même limaçonner tout le long de ce mur jusqu'à la fin de qui ou de quoi. Le temps passe dans un bruit de poussière. Château de cathédrales. Château de cartes. L'éternité de la pierre jusqu'à la mort de l'homme.

(Gaspard LEBOISOT, 2 πR)

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