Production ou reproduction de musique forte au mépris de toute nuance dans le dessein puéril de communiquer l’enthousiasme qu’elle suscite.
Un beau jour enfin nous tâtâmes de ces fameuses guitares américaines dont nous rêvions dans le silence enragé de nos certitudes, et c’est avec l’impudeur de ces ivresses éphémères, mais suffisamment intenses pour abolir le temps, que nous ébruitâmes à l’envi l’expression de nos décibêlements, surjouant dans le ventre immense de ces amplis au son ample et profond.
C’était de ce temps où nous pouvions abandonner loin de nous la tristesse et le désespoir d’un monde imposé dans notre volonté abrupte de n’en vouloir rien voir, enclotis dans l’odeur chaude et les saveurs sérales de nos entrecoins enfumés où nous transformions ce monde d’un simple éclat de rire, et où nous filions méteuphoriquement nos nuits de crainte que l’amertume récurrente du jour ne nous réveille pour de vrai.
Nous étions pareillement prolos, aristos ; nous nous nommions alors “Ryan Kent”, “Dennis Rockborn”, “Goldworld”… Chevelus comme de la crème d’écume, nous offrions nos crinières aux vents forcément prometteurs, alchimistes falsificateurs forcenés dans nos santiags de daim frangées et nos foulards chamarrés que parfois nous liions au manche de nos guitares, là même où le plus souvent, à l’instar de nos modèles, nous coincions nos clopes au-dessus du sillet quand nos infâmes roulées n’allaient noircir le bois vernis des tables.
Malgré les angoisses sourdes du devenir nous nous inventions heureux pour autant que tout nous semblait possible. Alors nos inquiétudes n’étaient jamais qu’un piment venant nourrir nos espérances confuses en fouettant nos imaginations, et tout cela concourait à nous maintenir à flot dans ce vague malaise que nous procurait la certitude intime de ne pouvoir jamais nous conformer aux exigences de ce monde autrement que par l’affront de nos obstinations avantrageuses.
(Jean-Louis PERDIGOULT, Maréchal et Rosenthal)